12/03/2010

You know his name

Jusqu'à Casino Royale, les James Bond se succédaient dans une apparente continuité. 007 est le même agent car il a au fil des épisodes les mêmes patrons, parfois les mêmes ennemis. La technologie et la situation politique évoluent mais le personnage de Bond reste le même, seul les acteurs qui l'incarnent changent.
Casino Royale est différent et remet en question cette continuité. En effet il parait de premier abord que cette logique soit suivie à l'image des films précédents, la principale raison étant que l'on retrouve le personnage de M joué par l'actrice Judi Dench depuis Goldeneye (1995). Cependant le personnage de 007 est un nouvel agent, et pas simplement un autre acteur qui endosse le rôle comme cela a été le cas jusqu'ici. En effet, on voit dans le pré-générique son tout premier meurtre présenté en noir et blanc, élément stylistique évoquant le passé. On pourrait penser à un flash back racontant les tous débuts de la carrière de James Bond mais le problème se poserait au niveau de la technologie utilisée car cette dernière est bien plus évoluée que dans les films précédents.
Le personnage lui-même est totalement différent. Il est plus humain, se bat de façon plus réaliste et l'accent n'est plus mis sur la technologie comme ce fut le cas par le passé (notamment avec le personnage de Q). La saga a changé Est-ce un nouvel agent portant le même patronyme hérité de ses prédécesseurs ou bien un reboot? La présence du personnage de Félix (que l'on trouve dans les précédents épisodes et qui perd sa jambe dans
Permis de tuer) nous ferait pencher du côté du reboot puisqu'on voit ici sa première rencontre avec Bond, confirmant que Casino Royale rompt la continuité avec les épisodes précédents.
De plus,
Casino Royale est le titre du premier roman de Fleming avec 007. Le film nous propose donc le début d'une nouvelle saga en commençant par le commencement, à savoir l'adaptation de la première aventure de James Bond.


Le pré-générique nous place dans un contexte classique, celui de l'ancien empire soviétique, ici en République Tchèque avec le cliché de l'homme à la chapska. La temporalité est ici problématique, en effet on peut y voir un flashback avec la scène dans les toilettes. Le noir et blanc donnant une cachet "passé" à la séquence, il est difficile de définir la temporalité. Classiquement le pré-générique d'un James Bond aurait une fonction narrative servant à introduire l'histoire. Or ici, nous ne sommes pas encore dans l"histoire mais dans ce qui la
précède, le pré-générique, par définition ce qu'il y a avant l'histoire. Quoi de plus naturel donc de montrer ce qui a rendu l'histoire possible, à savoir l'accession de l'agent au statut de double zéro? C'est la raison pour laquelle la séquence est en noir et blanc et que l'ascenseur s'arrête au 6ème étage : nous sommes ici dans l'attente du double meurtre (double zéro) et la prochaine étape de l'ascension de l'agent (étage suivant : 7).

Cette rupture avec les épisodes passés impose de légitimer ce statut de nouvelle saga, chose dont le générique va se charger.



Ce dernier acquière un nouveau statut que n'avaient pas les génériques de la franchise jusque-là. En effet, ils se résumaient à des représentations stylisées de silhouettes (pour la plupart féminines) et répondaient à une esthétique figurative imposée jusqu'à définir les codes du générique de James Bond. Ici la silhouette du personnage est reconnaissable là où auparavant elle ne faisait qu'évoquer une identité. James Bond n'est plus une silhouette reconnaissable à son smoking et son arme, il a des traits humains, en l'occurrence ceux de Daniel Craig.
Autre personnage qui se distingue dans ce générique, celui de Vesper (Eva Green). Ce qui importe ce n'est plus le statut du personnage, ou la symbolique du personnage. Ce ne sont plus simplement des formes, ce sont des personnages. On voit au tout début de ce générique la figure du valet, puis Vesper est associée à celle de la dame, membre du couple royal. La figure du roi est, elle, absente, pour une simple raison c'est que celui qui l'incarne est omniprésent tout au long de la séquence : Bond. Cette assimilation explique également pourquoi il arrivera à battre le
bad guy du film, Le Chiffre, puisque le roi l'emporte sur le chiffre.
Tout le but du générique est d'ailleurs de nous renvoyer au motif du jeu car dans
Casino Royale l'action n'est pas due aux multiples fusillades mais au jeu lui-même. De cette manière, les armes ne tirent pas des balles mais des couleurs, le viseur devient roulette, les ennemis (ou plutôt leur représentation stylisée) meurent en se changeant en cartes. Tout ceci n'est qu'un jeu, la violence n'est plus l'enjeu de l'action, ce dernier étant le jeu. Cependant ce jeu peut être dangereux, ainsi le 7 de cœur devient 007, preuve que le jeu peut tuer.
Ce James Bond moderne est, on l'a dit, beaucoup plus humain. Le genre du film d'action a beaucoup évolué et le personnage en est la preuve. Ainsi, on remarquera dans
Casino Royale un changement majeur par rapport aux épisodes passés au niveau du rapport à la sexualité. La femme n'est plus un faire valoir qui accompagne le personnage dans l'attente de coucher avec lui et de flatter le spectateur. La James Bond girl entretient à présent un véritable rapport humain avec l'espion, sans pour autant écarter l'aspect sexuel mais en le problématisant. Dans le générique on notera l'échelle de Bond par rapport à la figure de Vesper. De plus, il tire en l'air sans pour autant viser un ennemi, symbole phallique par excellence. La figure de la dame tient également une fleur, exacerbant sa féminité par ce renvoi à la sexualité féminine. Le pique est aussi intéressant à analyser. C'est en effet un signe qui pointe vers le haut. De la même façon, la représentation stylistique du cœur telle qu'on la connait renvoie à une image sexuelle à la base, celle du sexe féminin pointant vers le bas rehaussé de courbes et dont la couleur rouge insiste sur la connotation sexuelle.

Chose très étrange et inhabituelle, on trouve dans le générique un élément diégétique dans une séquence habituellement figurative, à savoir la confirmation du statut d'agent double zéro de Bond. Il y a donc la recherche d'une certaine légitimité, nous ne sommes plus dans la représentation d'une forme comme auparavant mais dans celle d'une identité. On légitime la fonction du personnage mais aussi Daniel Craig dans le rôle de James Bond car il apparait dans le plan suivant qui clôt le générique. Il n'est qu'une forme, une figure, et s'avance vers les 1er plan, dévoilant son visage. James Bond n'est plus une forme figée, indistincte à en être caricaturale, c'est à présent un être humain bien reconnaissable, c'est Daniel Craig. D'ailleurs, pour insister sur cette nouvelle identité/identification, la chanson se termine sur le visage en gros plan de l'acteur, proclamant "You know my name".

2 commentaires:

Louis a dit…

Très intéressant.

Moi j'adorerais lire une analyse de l'évolution des chansons de générique des Bond, genre comment ils font leur choix, quelles sont les contraintes à respecter (durée, "ambiance" générale, respect du thème)

Bart a dit…

C'est une excellente idée. Je m'y pencherai plus tard, sans doute cet été, car cela me parait un travail assez conséquent! En attendant si tu as d'autres idées de ce type, n'hésite pas à m'en faire part, je me ferait une joie de m'en inspirer!