29/01/2008

"Sauvez l'horloge de l'Hôtel de ville!"


Pour les plus "bananes" d'entre vous, une analyse du générique de Retour Vers Le Futur!


Le générique commence par un son caractéristique, celui du tic tac. C'est, bien entendu, une façon de matérialiser le temps. Une façon de le rendre perceptible est de commencer à le faire sentir dès les premières secondes, en accentuant peu à peu l'intensité sonore du tic tac et en le faisant commencer sur un écran noir, vierge pour l'instant d'espace mais pas de son, ce qui constitue d'emblée un paradoxe. Ce qui est plus frappant, c'est qu'à aucun moment du générique il n'y aura de musique, le seul moment où celle-ci tente d'envahir la scène étant désamorcé par l'explosion de l'ampli. L'accent est donc mis sur la temporalité. Ce générique cristallise différents niveaux de temporalité. Celle de sa propre intrigue en nous donnant par avance des éléments de compréhension et l'amorce de fils rouges qu'on retrouvera tout au long du film. Ensuite le principe même du film, à savoir le voyage dans le temps qui implique une conception particulière de la temporalité. Enfin une caractéristique inhérente du cinéma qui crée lui-même sa propre temporalité par le montage, évacuant toute possibilité de traiter d'une temporalité réaliste, mais permettant ainsi les plus belles aberrations comme celle de voyager dans le temps.

Ce générique présente, classiquement, ceux que nous allons trouver dans le film en tant qu'acteurs, mais il nous précise également quels vont être les personnages en les situant dans un espace caractéristique. Ainsi on apprend que la maison de Doc a été dévastée dans une coupure de journal, la date (primordiale) par la radio, la disparition du plutonium par la télévision, etc...Par le biais de ces médias le récit démarre donc avant même l'action, nous donnant des précisions sur des éléments dont il va être question plus tard dans le film mais qu'on ne fera qu'évoquer alors que le générique nous en explique l'origine. Il va également introduire des notions et des thèmes qui seront repris plus tard dans le film voire même en fil rouge dans la trilogie. Parmi eux, la publicité à la radio qui vante un nouveau modèle de voiture, cet objet étant une marque indéniable de l'époque contemporaine de la diégèse (en d'autres termes la voiture est un élément qui, par ce qu'il suppose de progrès technique, correspond à une époque particulière). D'ailleurs, pour les fans de la trilogie, rappelez-vous le métier de Goldy Wilson 3, le petit-fils du maire dans le second Retour Vers Le Futur : il est vendeur de voitures. Il est également à noter parmi ces auto-références qui créent une évidente mise en abîme, un élément figuratif avec l'homme accroché à l'horloge et un élément réflexif avec le camescope ainsi que cet homme accroché à l'horloge, référence au film de Harold Lloyd, Safety Last! . La réflexivité est bien sûr le coeur de ce générique car si, comme on l'a vu, il annonce et préfigure des éléments narratifs et thématiques indéniables, il renvoie également à une conception toute cinématographique et personnelle du temps.

Ainsi, quand l'image apparaît à l'écran, les pendules nous montrent toutes la même heure, à savoir 7h53. Lorsqu'elles sonnent, on en déduit et il est dit qu'il est 8h, ce qui parait totalement cohérent. Or, si on se place d'un point de vue extra-diégétique, la séquence n'a duré jusque-là que 4 minutes 30, il ne peut donc pas être 8h. Comment expliquer qu'il ne se soit pas passé le temps nécessaire pour nous faire croire à la véracité de ce temps diégétique, ce à quoi on s'attendrait légitimement? Tout à été mis en oeuvre dès le début pour nous faire rentrer dans une conception réaliste du temps qui aurait fait coïncider temps diégétique et temps réel. J'entends ici l'utilisation du plan-séquence. Celui-ci permet, comme par définition il n'y a pas de coupure, de coller au plus près de la réalité. Ainsi un plan-séquence, malgré ses aspects parfois grandiloquents esthétiquement, a le mérite d'être le plus fidèle possible à la réalité, en particulier parce qu'il fait que la durée de la séquence corresponde à la durée du récit. Or le plan-séquence qui ouvre le générique est coupé par le montage. C'est donc par une astuce cinématographique que les 7 minutes de l'histoire sont transformées en 4 minutes 30 de récit. La preuve en est que, quand Marty arrive et que la caméra le filme en plan-séquence après une coupure due à un insert, les horloges que l'on voit derrière lui sont toutes arrêtées et à des heures différentes. Le montage, et donc le fait même que ce soit du cinéma, tue la temporalité dite physique et logique pour créer son propre temps.

La première coupure est un insert qui nous montre la gamelle du chien de Doc dont le nom est Einstein (ce dernier est également présent dans la séquence dans une photo encadrée aux côtés de Copernic). N'oublions pas qu'Einstein est l'auteur de la théorie de la relativité, théorie dont la mise en pratique concerne le voyage dans le temps. Nous avons donc ici une remise en cause des principes physiques de la temporalité : le plan-séquence et la relation au temps qu'il induit sont coupés par un insert présentant une caricature du physicien (Einstein est un chien), sans oublier que la gamelle déborde. En d'autres termes, la théorie d'Einstein et les conceptions physique du temps vont être bafouées. C'est ce qu'annonce la rupture du plan-séquence : la rupture de la temporalité réelle et ses futurs implications, à savoir le voyage dans le temps. Pour en finir avec Einstein, quand Doc appelle Marty ce dernier lui demande si Einstein (le chien) est avec lui, ce à quoi Doc répond oui. C'est donc Doc qui est à présent celui qui commande au temps et à sa logique. Ainsi quand les horloges sonnent 8h, Doc déclare que son expérience a marché, qu'il est en fait 8h25. Ce à quoi il faut ajouter le fait qu'il est impossible qu'il soit 8h puisque la séquence commence à 7h53 et que les horloges sonnent 4 minutes 30 plus tard. On en conclut donc que Doc Brown est donc bien celui qui maîtrise le temps, mais que celui qui en a vraiment le pouvoir de le manipuler n'est autre que le réalisateur. D'ailleurs, détail important, les tic tac du générique ne commencent qu'à l'annonce des deux créateurs du film, Spielberg et Zemeckis.

Je me permets une petite interprétation plus anecdotique pour finir que les plus fêtards ne manqueront pas de confirmer L'altération du temps est rendue possible par le cinéma, matérialisé par une horloge faisant référence au film d'Harold Lloyd. Mais si l'on considère la pendule montrant un homme saoul adossé à un réverbère, elle doit être possible par d'autres moyens (sans rien insinuer)....

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